Les féminismes africains

Article : Les féminismes africains
Crédit: Charlotte Henard / Flickr CC
5 août 2022

Les féminismes africains

Femmes noires, femmes africaines, femmes douces, femmes révoltées, je pense à vous. Les plus belles poésies tressent vos louanges. On chante ces dernières avec les plus douces mélodies fredonnées à tue-tête. Toutes ces envolées lyriques autour de la féminité ne dépeignent qu’une femme africaine extrêmement résiliente. Dans l’illusion collective, elles semblent marcher sur un tapis d’éloges. Cependant, la femme africaine, la vraie, est celle qui accepte tout sans broncher. C’est celle qui courbe l’échine sans rechigner. Toutes ces belles paroles cachent alors une réalité de vie bien crispante. De quoi faire grincer des dents plus d’une.

Pour la faire taire, on lui rappelle sans cesse que notre histoire fait de la femme africaine une reine. Alors qu’aujourd’hui, il n’en est rien. En effet, ces conditions existentielles sont des plus déplorables. Cependant, dans l’imaginaire, les femmes doivent continuer de subir parce qu’il en a toujours été ainsi. Fadaises ! Quel mensonge du système !

Pourquoi les féminismes africains?

De plus en plus de voix féminines s’élèvent contre cette invention patriarcale. Nos cités africaines sont touchées par la gangrène de la misogynie. Au fil du temps, pour répondre à ce ras-le-bol, les féminismes africains sont nés. Tel un enfant qui naît, leurs balbutiements ont fait trembler ces sociétés africaines devenues de plus en plus sexistes. Désormais, elles ont décidé de ne plus se taire. Les féministes, ces effrontées qui veulent chambouler l’ordre naturel des choses, n’ont pas froid aux yeux. On dit d’elles qu’elles sont les instruments de l’occident. 

Le féminisme demande l’abolition du système patriarcal qui aboutira à une égalité entre les hommes et les femmes. Mais les hommes demeurent supérieurs aux femmes dans les mentalités. Ce mouvement s’apparente à un nouveau caprice des femmes à qui l’on a dû laisser un peu trop de liberté. Il faut vite refermer les vannes pour leur montrer encore qui dirige. Il faut bâillonner tous les féminismes africains.

En Afrique et pas seulement, on reconnait ce courant pour sa pluralité. Au niveau mondial, on nous parle d’afroféminisme, de féminisme libéral et même d’écoféminisme. Ce mouvement semble être partout dorénavant. Chacune met son ingrédient telle une recette à parfaire pour que cette revendication colle à toutes les réalités. Le continent africain n’est pas en reste. Si l’on parle des féminismes africains, c’est justement parce que les mouvements africains sont également particuliers. Ils veulent se différencier clairement des mouvements occidentaux. Loin de ne revendiquer que l’égalité, les féminismes africains sont devenus une quête d’identité.

Ainsi, leur ambition est de rétablir l’histoire des femmes au sein des sociétés africaines contaminées par un système patriarcal importé. Réveiller les consciences sur une histoire oubliée. La lutte féministe est longue. On la lit depuis des décennies. Les féminismes africains tracent leurs sillons.

Les féminismes africains, l’histoire d’une naissance.

Contrairement à ce que l’on croit, le féminisme africain n’est pas né de la dernière pluie. Pour l’auteure nigériane mondialement connue Chimamanda Ngozi Adichie, une des féministes les plus influentes du continent, nos sociétés africaines ont toujours été profondément féministes. Selon le Docteur Moussa Fanta Kourouma (Vice-Doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques à l’université Kofi Annan de Guinée), « depuis que l’Afrique a cessé de s’assumer, elle s’est fait consumer. »

Cette consumation a-t-elle touché cette nature féministe de nos sociétés ? La formule du Docteur semble alors bien trouvée dans la mesure où la colonisation et la postcolonisation n’ont toujours pas encore achevé le travail de déshistoricisation du continent. Bien évidemment, on n’employait pas le terme féminisme. Alors quelles sont les origines de ce mouvement ?

En occident, les dénominations féminisme et féministe dateraient du XIXe siècle. Cette appellation se serait peu à peu diffusée à travers le monde. Pendant la colonisation, on rencontre les premières féministes revendiquées en Ouganda. Cet état est une ancienne colonie britannique contaminée par les mouvements féministes du Royaume-Uni. Les femmes britanniques étant reconnues en Europe comme étant les pionnières de cette lutte.

Des reines guerrières aux armées féminines, lutter n’a pas toujours été l’apanage des hommes. C’est ainsi que le contexte de la naissance du féminisme est différent en Afrique. Amina Mama, cette professeure nigériane, auteure et conceptrice de la revue Feminist Africa affirma que dans un contexte africain, le féminisme est né de l’engagement profond des femmes et de leur dévouement à la libération nationale. Dans la pensée africaine, féminisme et décolonisation sont intimement liés. C’est dans cette optique que la lutte des femmes pour les indépendances bien qu’elle a été édulcorée dans l’histoire, ne peut être niée. Par conséquent, même s’il existe des figures emblématiques, on ne peut réellement citer le nombre de femmes qui ont pris part à cette mission libératrice à travers le continent.

Après les indépendances, malgré toute leur force d’investissement, sur fond d’ingratitude de cette société devenue patriarcale, les femmes ont fini par être oubliées. Leurs requêtes semblent tombées aux oubliettes, ce qui les oblige à continuer leur lutte avec un sentiment de trahison. En effet, il n’y a eu aucune amélioration de leurs conditions de vie au sortir de la période coloniale.

Dès lors, les femmes révoltées font naître des militantes, activistes farouches sur tout le continent africain.

La vague féministe en Afrique

La marée de l’indignation au féminin monte provoquant une vague sans précédent. Combien de fois, les militantes s’égosillent à l’expliquer ! L’égalité de droits ne veut pas dire que les hommes et les femmes sont tous deux biologiquement identiques. De plus, cette égalité inclut tout le monde même les minorités sexuelles. Cette mauvaise interprétation est due soit à une inculture néfaste soit tout simplement et bien trop souvent à une mauvaise foi des pourfendeurs du féminisme. On les entend dire pour galvaniser leur troupe, les femmes veulent ressembler aux hommes. Cet argument est d’un ridicule qui ne dit pas son nom. Personne ne veut ressembler à personne. Si vouloir acquérir plus de droits, c’est vouloir ressembler aux hommes, c’est qu’il y a problème.

Les différentes constitutions et même les droits universels ne disent-ils pas que les êtres humains sont libres et égaux en droit ? Ou les femmes ne sont-elles pas des êtres humains ? C’est la question que l’on pourrait se poser. Pourquoi accorder certaines prérogatives aux femmes est-il tant problématique dans nos sociétés africaines actuelles ? Pendant longtemps, on note une désinvolture des autorités quant aux questions liées aux femmes.

Dans la foulée, on reproche aux mouvements féminismes de hausser le ton. Les féministes seraient en train de se radicaliser. Le féminisme devient alors dans l’imaginaire une guerre contre les hommes. Les femmes ont décidé de ne plus attendre que leurs droits viennent à elles. Elles veulent les acquérir sans reculer. Aussi, toutes les vicissitudes ne semblent pas freiner les ardeurs de ces nouvelles amazones qui se sont données pour mission de rétablir les femmes dans leurs droits. Rendre à César, ce qui appartient à César, tel est leur leitmotiv parce que les couronnes de ces reines ont été volées. La cuisine, c’est bien, mais gouverner, c’est mieux !

En Afrique, en parlant de la construction des mouvements féministes, il faut rappeler que les associations féminines ont toujours existé. Qu’elles soient politiques ou apolitiques, dès la fin de la colonisation, leurs activités ont été enclenchées. Cependant, à cette période, il n’était pas bon d’avoir l’étiquette de féministe. Même si le rejet de ce mouvement est encore palpable aujourd’hui, ce moment apparaissait encore plus délétère. De ce fait, les mouvements d’antan préfèrent le qualificatif de féminin. Ces associations féminines et les mouvements qui se déclarent purement féministes se regardent donc en chien de faïence.

La crainte de passer pour les ennemies des hommes est plus forte. On note alors la création de courants féministes dits soft. C’est le féminisme qui ne rejette pas le masculin, mais fait de lui un pion essentiel de la lutte. Flatter les égos masculins pour obtenir les prérogatives souhaitées semble la solution adéquate. Un courant, le nego-Feminism sur l’échiquier en Afrique. Ce courant est défini par l’auteure et la chercheuse nigériane Obioma Nnaemeka dans son article Nego-Feminism : Theorizing, Practicing, and Pruning Africa’s Way. Il s’agira alors pour les femmes de négocier « docilement » leurs droits avec les hommes. En effet, le but ultime est de ne pas paraître misandre en évinçant ceux-ci.

De nos jours, nous avons des féministes 2.0 pour marquer le fait que ces dernières sont le fruit de l’avènement des nouvelles technologies. Cette nouvelle génération qui se situe dans le féminisme intersectionnel, radical même parfois. Par ailleurs, ces dernières ne revendiquent pas une participation active des hommes dans leur lutte. Elles affirment pouvoir s’en passer. Cependant, ces considérations ne veulent nullement affirmer que l’implication du masculin est totalement rejetée.

Malgré tout cet antagonisme que montrent les mouvements féminins et les mouvements féministes, elles se rejoignent en une et seule même point, celui de la lutte de l’émancipation des femmes africaines.

Le panorama du paysage féministe en Afrique.

Aujourd’hui, bien qu’ils remuent les plaques tectoniques de cette société phallocrate africaine, il faut souligner que les féminismes africains ont connu leur moment de disette. Heureusement que ces dernières décennies, on enregistre un regain d’énergie des mouvements. De plus en plus de figures de la lutte émergent sur tout le continent.

En Afrique de l’Ouest, des associations qui se revendiquent fièrement féministes ont vu le jour. Cette fierté de se faire appeler féministe apparaît comme une sorte de défiance de ces dernières. Il n’est donc plus question de se cacher, mais d’agir pour l’égalité n’en déplaise à la masse.

Une association fait beaucoup parler d’elle. Il s’agit de la ligue des droits des femmes en Côte d’Ivoire. Le succès de cette association féministe a vu naître une ligue au Bénin, au Tchad. Ces mouvements combattent farouchement les violences basées sur le genre et militent pour une législation effective pour les femmes. Le sexisme ordinaire ne trouve plus grâce à leurs yeux. Leurs actions se font souvent en grande pompe. Les femmes l’ont toujours compris milité en petit comité n’est pas une bonne stratégie. Ces associations féministes viennent donc renforcer les liens et créer un véritable réseau qui se veut solidaire. La sororité désormais est de mise comme pour montrer que la croyance du manque de solidarité des femmes est une construction de la société.

Les activistes féministes, les nouvelles têtes brûlées sont également plus nombreuses. Elles donnent de la voix pour ouvrir la voie à leurs semblables. Elles font une entorse à l’image de la vraie femme africaine avec leurs jérémiades.

Au Burkina Faso, Bénédicte Bailou est un exemple dans le milieu féministe. Elle affirme, « plus je lis et me documente sur le féminisme, je me rends compte que je l’ai toujours été même si ce n’est qu’en 2017 que j’ai pu mettre un nom sur mon engagement pour les droits des femmes et le rendre, on va dire officiel. J’ai une formation de juriste, et c’est spécialement lors du cours sur le CPF que j’ai commencé à trouver injuste la situation que vivent les femmes dans la pratique pourtant les textes sont en leur faveur. Donc c’est pour défendre et promouvoir les droits des femmes que je suis devenue féministe. »

Le Bénin connaît lui aussi ses militantes féministes, où Chanceline Mevowanou se dit citoyenne engagée. Elle est la présidente de Jeunes Filles Actrices de Développement, une organisation mise en place au Bénin pour prôner le leadership des filles et pour travailler sur la problématique de l’égalité. Sur son blog, elle nous parle de son engagement.

En Côte d’Ivoire, des activistes telle que Traoré Bintou Mariam sont des militantes féministes reconnues. Avec son hashtag, vraie femme africaine qui s’est répandu comme une traînée de poudre, Traoré Bintou Mariam a voulu mettre en exergue les ignominies que doivent accepter les femmes africaines pour trouver grâce aux yeux de la gent masculine. Avec ironie, la parole a été libérée. Emilie Tapé, quant à elle, se passionne pour la question sensible de la sexualité féminine sur son blog Les Minous libres avec beaucoup d’autodérision.

Au Mali, Maïmouna Dioncounda Dembélé, surnommée mademoiselle droits de l’Homme, clame haut et fort son féminisme dans un pays connu pour son radicalisme religieux. Directrice pays du CECI, elle se bat pour les droits des femmes et des filles. Elle ne craint pas de critiquer virulemment des pratiques telles que les mutilations génitales, la polygamie qui pour elle fait également partie des violences faites aux femmes. Ses prises de position sur les réseaux sociaux restent très appréciées.

Quels que soient leurs domaines de prédilection, elles donnent de leur personne pour faire valoir leur combat. Audace, ténacité et persévérance semblent la devise de ces féministes 2.0 conscientes et formées aux nouveaux enjeux de l’égalité des genres.

Partagez

Commentaires